Conseil en innovation stratégique

Méta(di)vers 2022

Femme à L'aide De Lunettes Vr

Métavers, faits divers et divertissements : à l’aube de la rupture que risquent d’apporter les métavers, voyons comment 4 divertissements récents les évoquent : Matrix, Don’t look up, Anéantir de Houellebecq et l’adaptation BD de la Nuit des Temps de Barjavel.

Comme l’écrivait Bourdieu, on peut dire que le fait divers, omniprésent dans les médias, est celui qui fait diversion des vrais problèmes. La priorisation des enjeux n’existe plus, donc la pensée disparaît dans un maelstrom confus de news qui disparaissent aussi vite qu’elles apparaissent.

Quelles métaphores traversent ces 4 divertissements ?

1/ Une schizophrénie dystopique : un espace ‘’méta’’ est un monde immersif où la lumière ne s’éteint jamais, et où nous pouvons avoir des interactions en temps réel dans plusieurs espaces virtuels interconnectés, à l’instar de ce qui se passe dans Matrix. En 2021, Facebook (re)lance un monde parallèle (prolongeant le  Second Life des années 2000), où vivre sa vie irréelle en continu. Dans le métavers, on se déplace dans un monde que l’on bâtit quasi soi-même. Dans la fiction, par exemple, c’est Ready Player One. Et dans la vraie vie, ce sont notamment les mondes Minecraft, Fortnite, Roblox, ce métavers dédié aux moins de 15 ans, mix de Disney, Facebook et Netflix créée en 2004 (100 millions d’utilisateurs qui créent eux-mêmes leurs jeux, après avoir mis au point leur avatar et payé en robux, cryptomonnaie en cours) et valorisée aujourd’hui 45 milliards $.

Gageons que nombreux humains (confinés ou pas) seront nombreux à fuir vers cet univers où il sera possible d’oublier la dureté des temps, le racornissement des espoirs climatiques et les peurs paniques ou paranoïaques. Ou encore l’arrivée inévitable de la comète de Don’t look up. Pour résister à ce nouvel opium du peuple numérique, pour échapper à la normativité plombante et la pesanteur régressive (Houellebecq, champion du monde pour les résumer), autant monter là-haut dans la station orbitale de Thomas Pesquet ou le James Webb téléscope ou la fusée cryogénique de Don’t Look Up qui vous projette 22.000 ans plus tard.

2/ Un conte de fées hybride : le cinéma et la BD de fiction sont ces arts qui nous plongent dans le noir pour tout réinventer. Matrix Résurrections est en fait un film sur la psychanalyse (les séances de Neo avec l’Analyste structurent le déroulement du film), forme de récit venant s’hybrider à la fusion du cinéma et du jeu vidéo. Plus de vingt ans ont passé depuis la sortie du premier épisode révolutionnaire de la franchise Matrix (1999, année où Mark Zuckerberg avait… 15 ans), sorte de labyrinthe new age où se mêlent des références de contes de fées, de polars et de philosophie (au travers de tunnels de dialogues alambiqués mais accrocheurs, auxquels Jean Baudrillard, contacté en 2003, avait refusé de contribuer). Le dernier épisode est un reboot superbement stylé (au même titre qu’une innovation durable, c’est un processus itératif), et l’évolution de l’univers est cohérente avec votre évolution en tant que spectateur : du fait de l’emprise du digital, nous sommes tous devenus matrixés dans le méga bain technologique du capitalisme numérique. Nous y devenons une sorte de personnage/témoin de l’histoire de départ (comme dans la Nuit des Temps de Barjavel), ce qui donne un écho bien tourné, dans ces 2 mondes parallèles. Le film (à l’instar d’Anéantir ou de Don’t Look Up) met ainsi habilement en scène un constat cruel : à force de ne pas donner d’importance aux choses sérieuses, puisque l’on ne sait plus dans quel monde l’on est, et de prétendre que l’on ne prend pas au sérieux les choses futiles pourtant regardées à longueur de journée, un curieux renversement s’opère dans notre société du divertissement : c’est le futile qui devient important, et l’important qui est caricaturé. Une réalité virtuelle superposable à notre époque, dont la révélation est sensé changer l’histoire du monde à venir et l’histoire des images du monde. C’est, en général, le rôle non seulement de la sci-fi mais aussi de la prospective.

3/ Une dérision dépressive : quant à Anéantir,  nul ne saurait contester que les romans de Michel Houellebecq ont cette capacité à mettre le réel en effervescence, à entrer en vibration voire en choc frontal avec la réalité. Et force est de reconnaître que, alors que les esprits s’échauffent autour du métavers, des casques 3D, des développements de l’intelligence artificielle ou du pouvoir prédictif des algorithmes, lire l’œuvre romanesque de Michel Houellebecq, nous offre une expérience autrement plus immersive et vertigineuse : celle de nous plonger dans une véritable « réalité augmentée », façon non seulement de sentir le réel, mais de le pressentir. Une capacité quasi médiumnique à subodorer ce que les sociologues appellent les « signaux faibles », les signes de la réalité avant qu’elle ne se manifeste pleinement. De façon spectaculaire et troublante parfois. A l’instar des métavers et de Matrix, il s’agit de réveiller l’humanité à même le Virtuel, plutôt que de continuer à guerroyer dans les profondeurs du Réel. Pour Houellebecq, dans Anéantir la prospective n’exclue heureusement pas l’optimisme : au niveau national, avec une France en 2027 qui s’est redressée industriellement et a éradiqué son déficit extérieur (grâce à l’action du ministre des Finances, le meilleur depuis Colbert) et au niveau individuel avec une autre issue pour l’homme moderne puisque l’amour retrouve ses droits dans le cadre conjugal (le narrateur Paul) ou de la rencontre (le ministre Bruno). Comme chez Tilt, où nous ne croyons pas à la fatalité d’un monde lourd de menaces mais aux opportunités qui naissent tous les matins pour se retrouver.

En matière d’entreprise, c’est ce que Tilt & Kea appellent la stratégie créative. Et que nous pratiquons avec nos clients au travers de l’identification de scénarios du futur concrets et incarnés, du plus évolutif au plus rupturiste. Permettant ainsi à vos équipes d’anticiper ce qui pourrait advenir, de s’y préparer…et d’en mesurer les impacts sur l’existant.

Comme si le verbe « renaître » s’inscrivait en creux dans le titre « anéantir » (pratiquement un anagramme).

Questions à 2022€ pour un futur’’ for good’’ dans un monde HtoH : lecteurs et lectrices de Kéa Tilt, êtes-vous convaincu.e.s que la prospective ce n’est pas de la science-fiction mais une façon de mieux appréhender les problèmes actuels et futurs ? Est-ce que les métavers nourriront positivement l’imaginaire collectif ? Et qu’est-ce que les algorithmes ne pourront  pas anticiper et qu’un humain pourra ?

Brice Auckenthaler, co-fondateur