Conseil en innovation stratégique

#Sociobang – Un chat n’est plus un chat

A-t-on le droit de tout dire ? L’attentat contre Charlie Hebdo de janvier dernier semble avoir, plus que jamais, rappelé l’importance fondamentale de la liberté d’expression. A priori, on peut donc tout dire sur tout le monde : musulmans, catholiques, femmes, homosexuels… Pourtant, à y regarder de plus près, le discours public et, bien pire, le discours privé, sont aujourd’hui remplis de formules toutes faites qui servent, précisément, à éviter d’appeler ces groupes par leur nom. Ainsi, un reportage de TF1 présentait le film Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? comme l’histoire d’un père de famille et de ses quatre gendres « issus de la diversité ». Pas le droit de dire « ses quatre gendres : un Noir, un Arabe, un Asiatique et un Juif » alors que c’est pourtant le sujet exact du film… et la réalité la plus objective ! De même, la formule du « mariage pour tous » contourne un fait qui semble si difficile à voiser : le mariage homosexuel.

Avec l’essor de l’individualisme, nous sommes passés d’une société d’égalité à une société d’équivalence où le simple fait de signaler une différence objective (une couleur de peau, une confession, par exemple) est devenu un discours stigmatisant – donc inadmissible. Or, si deux personnes issues de deux confessions ou de deux origines ethniques différentes sont bien sûr juridiquement et moralement égales, il est faux de penser qu’elles sont pareilles. Un musulman est égal à un catholique mais, sur ce point identitaire, on ne peut pas nier qu’ils sont différents – l’un n’est pas meilleur ni moins bien que l’autre, mais ils ne sont pas, objectivement, les mêmes. Paradoxe d’une époque où chacun est soi-disant unique et, dans le même temps, totalement indifférencié. Ce politiquement correct découle également de l’essor des personnalités VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity) et d’une société dans laquelle il est inconcevable de réduire une personne, forcément multiple, à une identité unidimensionnelle. Et « labelliser » quelqu’un est devenu une atteinte à sa personne, dans « tout juridique » qui transforme tous les sujets de droit en victimes à retardement. Il ne faut pas non plus sous-estimer, en France, l’influence de la pensée structuraliste qui surcharge les mots de sens en les déconnectant de leur référent, c’est-à-dire de la réalité objective, extralinguistique. Enfin, cette montée du politiquement correct participe d’une réaction à la montée du racisme (par exemple, moins d’un Français sur deux (46 %) estime qu’il faut faciliter l’exercice du culte musulman), comme si la bienséance devait venir amortir la réalité de la pensée. Paradoxalement, comme les mots (noir, musulman, homo, etc.) portent un sens trop fort, difficile à cerner mais perçu, quoi qu’il en soit, comme délétère, on finit par… parler pour ne rien dire. Et personne ne se rend compte que, si le discours officiel décrit, d’un côté, une « diversité » (ethnique, sexuelle, religieuse, etc.), il induit, mathématiquement, de l’autre, une normalité, une unicité (l’hétéro blanc athée) : n’est-ce pas bien moins objectif que d’appeler un chat un chat ?

Aussi, vivons-nous dans une époque où certains signes sont tabous et déclenchent des condamnations réflexes par la doxa. Avec des impacts directs pour les marques, par définition grandes communicantes. Le Stabilo « pour femmes » a créé un scandale, accusé d’être sexiste. La vidéo des vœux 2015 de la SNCF a, elle, divisé les internautes, taxée de ne montrer que de petites têtes blondes bourgeoises.

Enfin, compte tenu de cette surcharge de sens accordée au langage, la réalité, elle, devient plus plastique : on peut donc s’arranger avec elle, et même la nier, puisque seul compte le discours. On peut d’ailleurs se demander si la généralisation des mondes virtuels n’a pas, elle aussi, contribué à décrédibiliser la réalité qui, d’unique, est devenue parallèle. En politique, par exemple, on joue avec les chiffres, on ne tient pas ses promesses… bref le blabla de la communication a remplacé le pragmatisme de l’action.

‽ Le politiquement correct impose aux marques de faire, plus que jamais, attention à leur discours. Sachez trouver le juste milieu entre la provocation « fun », qui crée de l’adhésion, et les limites imposées par la bien-pensance.