Conseil en innovation stratégique

#Voir le futur – Délégation totale

Vous sortez ce weekend mais n’avez rien à vous mettre ? Pensez à contacter Chic Types, une start-up de personal shoppers. De la même manière, vous pourrez solliciter une pléthore d’entreprises pour vous faciliter la vie. A côté des spécialistes de l’alimentaire, tels que les Commis ou Cookintheworld qui livrent à domicile des ingrédients prêts à cuisiner, il existe en effet des sociétés qui gèrent vos démarches administratives (DoMyStuff) et votre paperasse (la Shoebox de la banque néerlandaise Insinger de Beaufort), aident les papas à s’occuper de leurs enfants (Daddy Coool), ramassent les crottes de votre chien ou changent la litière de votre chat (Doodycalls aux Etats-Unis), livrent des lames pour votre rasoir (Big Moustache), font la queue pour vous (Wequeue) et, last but not least, draguent à votre place sur des sites de rencontre avant de vous passer la main dans la vraie vie (Net Dating Assistant)…

Notre époque aspire en effet à une sous-traitance générale de toutes les tâches rébarbatives : faire la queue dans un supermarché, se casser la tête pour choisir un vêtement, etc. Loin de n’intéresser que la frange la plus aisée de la population, cette délégation du quotidien concerne des CSP variées. Ainsi, les services à la personne traditionnels, tels que l’aide ménagère ou le baby-sitting, ont crû de 6% depuis 2006.

Plusieurs raisons expliquent cette tendance à la délégation. Premièrement, dans une société du fun perpétuel où le bonheur est assimilé au plaisir, ces services de conciergerie permettent de libérer du temps de loisir et autorisent le client à se sentir unique. Avec Uber, par exemple, n’importe quel quidam est digne d’un chef d’Etat roulant en berline à vitres teintées, loin de la plèbe des transports en commun… Mais, deuxièmement, cette sur-valorisation du temps libre révèle, en creux, l’importance que nous accordons à y performer. Alors que la pression au travail augmente, nous donnant l’impression de manquer de temps, et alors que les réseaux sociaux ont consacré une pratique exhibitionniste des loisirs où leur consommation n’est complète qu’à travers leur monstration idéalisée (pour paraphraser Roland Barthes, on pourrait dire que, pour qu’une chose soit sue, il faut qu’elle soit montrée ; mais aussi, dès qu’elle est montrée, elle est provisoirement vraie), le temps libre doit être rentabilisé. Rentabilisé selon un ratio équilibré entre temps passé et risque couru (d’aller voir un mauvais film, d’acheter un livre décevant, etc.) De là, précisément, découle la troisième cause de cette tendance : la peur de mal faire, c’est-à-dire de mal choisir son activité. Dans le trop-plein consommatoire et l’arbitrage perpétuels où nous évoluons, les loisirs se sont professionnalisés, donnant naissance à un marché d’experts en personal shopping, box culturelles et aide cuisinière, dont le sens même est de choisir à notre place. « Cette impression de manquer de temps vient de notre volonté d’en faire toujours plus. De nos jours, pour être une personne accomplie, il faut avoir tout fait, tout vu, tout lu, tout connu. Ce qui est évidemment très compliqué, compte tenu de la multitude d’activités existantes, résume le sociologue Jean Viard. Derrière cette surenchère d’activités, il y a aussi la peur de rater son existence. On n’a jamais été aussi libres. On peut faire ce que l’on veut de sa vie. Ce qui revient à dire que si celle-ci est ratée, on en est le seul responsable ».

En tirant les conséquences de cette évolution pour le futur, on voit poindre des pratiques de consommation de plus en plus assistées. Au-delà, on peut légitimement se demander si la vie ne perdra pas, en éliminant toutes ses petites difficultés, de son sel. Enfin, quelle sera la définition du loisir du futur ? Avec la généralisation des pratiques de conciergerie et de consommateurs intolérants à la frustration et à la contrainte, il apparaît que certains loisirs se transforment en corvées. Ainsi, la société Urban Green propose un service d’abonnement pour l’entretien de ses aménagements paysagers en ville, révélant que le jardinage, autrefois loisir, devient une corvée à sous-traiter.

‽ Avant, c’est la complexité (technique par exemple) qui était un argument de vente. Aujourd’hui, c’est la simplicité et, encore plus, la facilitation qui se paient. Aussi, comment pourriez-vous aider vos clients à vous déléguer un peu de leurs tâches ?