Conseil en innovation stratégique

Tilt Attitude #14 : La déliaison

Le triomphe de l’individualisme se traduit par une forme d’atomisation des relations sociales et une grande volatilité des cercles d’interaction

L’idéal d’autonomie a pour corollaire un individu contemporain qui ne se reconnaît plus dans les structures censées l’encadrer et le représenter. La faillite des partis politiques et des « corps intermédiaires » entraîne une dislocation du corps social qui devient beaucoup moins prévisible dans ses mouvements et expressions.

Et si finalement, pour comprendre les nouveaux clivages qui traversent aujourd’hui nos sociétés, les traditionnels outils de la socio-démographie que sont l’âge, le niveau d’éducation ou encore la profession étaient devenus obsolètes ? Et si, en lieu et place, ne valait-il pas mieux leur substituer de nouveaux indicateurs, plus qualitatifs, plus subjectifs aussi ?

C’est en tout cas ce que suggère et propose le Cepremap (Centre pour la Recherche Economique et ses Applications) qui vient de publier, ce 14 février, une très intéressante note[1], rédigée en partenariat avec le Cevipof (Centre de Recherches Politiques de Sciences Po) et qui analyse le phénomène des Gilets jaunes au prisme du niveau de confiance dans autrui, croisé au degré de satisfaction de sa propre vie. Sans grande surprise, le giletjaunisme se trouve surreprésenté dans les segments de population marqués par l’insatisfaction et le manque de confiance interpersonnelle. Si le premier indicateur (satisfaction à l’égard de sa propre vie) est assez classique, celui de la confiance en autrui est plus original et s’appuie notamment sur les travaux de Yann Algan et al. (2018)[2]. Il met en évidence le fait que la crise de confiance, déjà largement documentée (notamment par le même Cevipof) dès lors qu’il s’agit des partis politiques, des syndicats ou des médias, touche aussi les relations interpersonnelles. De façon générale, seuls 28% des Français estiment aujourd’hui que l’on peut faire confiance à autrui[3]. Ce phénomène traduit à l’évidence une forme d’atomisation des relations sociales, tendance que nous avons nommée « la déliaison » et qu’incarne de façon remarquablement ambivalente ces mêmes Gilets Jaunes, qui cherchent à créer une convivialité sur des ronds-points, par définition anonymes et inhospitaliers, qui s’appellent eux-mêmes « la famille », mais qui, dans le même temps, sont particulièrement méfiants à l’idée d’avoir des représentants.

Ce phénomène de déliaison sociale traverse la plupart des pays occidentaux, comme il innerve les différentes strates de la société. Il appelle de multiples réponses mais ne peut être ignoré des entreprises, ne serait-ce qu’à travers leurs clients ou leurs collaborateurs.

‽ Alors et à l’échelle qui est la vôtre, comment procédez-vous pour y faire face, pour l’enrayer et pour commencer à retisser ainsi les liens de la confiance ?

Bruno Bourdon, Directeur associé

[1] : http://www.cepremap.fr/publications/qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens/

[2] : Algan, Y., Beasley, E., Cohen, D., et Foucault, M. (2018). Centre for Economic Policy Research, DP13103 « The rise of populism and the collapse of the left-right paradigm: Lessons from the 2017 French presidential election »

[3] : Réponse à la question : « Diriez-vous qu’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ou qu’on peut faire confiance à la plupart des gens ? » http://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf