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#SocioBang : Selfie Folie

Le « selfie » ou « egoportrait » est ce mode photographique reconnaissable entre mille où le sujet de la photo est également celui qui la prend. Il se caractérise au choix par un plan resserré et un bout de bras apparent ou par le reflet intégral du sujet et de son téléphone dans un miroir.

Le selfie n’est pas nouveau. Il s’appelait auparavant l’autoportrait et a acquis ses lettres de noblesse à la Renaissance, lorsque les artistes commencèrent à affirmer leur statut social sur la toile à l’image de Dürer et Velázquez.  De statutaire, il est devenu intime au temps de Van Gogh et de ses toiles sans prétention. Aujourd’hui, l’autoportrait existe sur un autre genre de toile – le web – et naît d’un nouvel outil, le smartphone. Il est à la fois statutaire et intime. Intime parce que pris sur le vif, la plupart du temps dans l’espace le plus privé – la chambre – et statutaire parce qu’il se pose comme une affirmation de soi, une mise en scène de son existence.

Le fait que le selfie envahisse Instagram trahit sa véritable raison d’être : la recherche d’approbation par autrui. Dans un monde où la réussite n’est décernée que par nos pairs, le selfie est un test de popularité, un gage de ré-assurance si celui-ci emporte l’adhésion et les « likes » de la communauté. L’individu ne se définit non plus par ce qu’il accomplit mais par ce que les autres reconnaissent qu’il a accompli. La « pipolisation » de la société a joué un rôle prépondérant dans cette starification de l’individu lambda : les modèles d’antan étaient des étoiles (stars) inaccessibles évoluant dans des sphères très fermées, les modèles d’aujourd’hui sont des gens (people) qui vivent comme tout le monde. Cette popularisation de la célébrité a largement contribué à la popularisation du selfie qui donne à tous l’impression d’être un instant sous les flashs des paparazzis.

Symptôme d’une génération obsédée par son image pour les uns, le selfie est pour d’autres un moyen d’introspection et de mémorisation. Depuis l’Antiquité l’impératif de connaissance de soi est une clé de la réussite personnelle. « Connais-toi toi-même » disait Platon.  « Regarde-toi toi-même » pourrait dire le selfie. L’auto-photographie fixe un état d’esprit, une humeur que l’individu cherche à capturer au même titre que ce qu’il vit au jour le jour, reflet intime de sa perception des choses. Et puisqu’une image en dit plus qu’un long discours, le selfie est encore le moyen le plus efficace de mettre à jour son statut a fortiori sur Twitter où le verbiage est prohibé.

Enfin, le selfie est une somme de paradoxes. Il se veut la consécration de l’individualité poussée à son paroxysme (à la fois sujet et objet) et pourtant reproduit invariablement les mêmes codes selon la tribu affinitaire (les sportifs, les geeks, les fêtards etc.). Tous les selfies d’une même tribu se suivent et se ressemblent, variations subtiles d’une même pose, rites de passage pour accéder à la communauté. Il se veut, surtout chez les stars, le reflet fidèle de l’individu dans son intimité et son existence la plus banale, loin des flashs et des impératifs d’image et pourtant subit bien souvent l’ajout de filtres sublimatoires (cf. Instagram). Ces paradoxes sont à l’image de celui qui habite tout individu depuis des siècles : la nécessité d’être soi tout en se fondant dans la masse.

‽ Le selfie est la preuve, s’il en fallait encore une, que le consommateur s’attend plus que jamais à être au cœur de toutes ses expériences, y compris celle de la consommation qui une place prépondérante dans la construction de son identité. Être au centre, capturer et partager sont les mots d’ordre de toutes ses activités, rendus possibles par les technologies embarquées.  Et n’oubliez pas que ce qui est valable pour vos consommateurs l’est aussi pour vos collaborateurs, que faites-vous pour les mettre au centre, leur donner envie de capturer et de partager leur expérience de travail?