Conseil en innovation stratégique

#Sociobang – La ménagère, un stéréotype définitivement cuit à l’étouffée?

[ « CHIC, enfin je l’ai ! » Ainsi s’exprime chaque année la joie de quelques dizaines de milliers de femmes lorsqu’elles déballent leur DUROmatic flambant neuve. Que ce soit un cadeau ou que l’heureuse propriétaire ait été l’acheter elle-même, son cœur se met à battre plus vite lorsqu’elle sort sa DUROmatic de l’emballage, car toute femme voit alors un de ses plus grands souhaits enfin réalisé, qu’elle soit une maîtresse de maison expérimentée, jeune mariée ou tout simplement fiancée. Maintenant, vous faites, vous aussi, partie de ces femmes heureuses. ]

Retomber sur cette notice d’utilisation d’une cocotte minute des années 1960 (La DUROmatic, cette merveille!) provoque à la fois une envie de rire et en même temps une certaine gêne et révolte devant un sexisme aussi marqué. Aujourd’hui, cette ménagère ouvertement désignée à l’époque, et assumée (soi-disant), seule responsable de la bonne tenue du foyer et de la cuisine, nous semble relativement dépassée dans un monde occidental de femmes actives qui ne trouvent plus beaucoup le temps de cuisiner ; ce qui nécessite un certain rééquilibrage au niveau des tâches ménagères.

Et pourtant, le monde culinaire continue d’être au cœur des revendications égalitaires. Comment expliquer en effet que, malgré les évolutions en termes de répartition des tâches et une plus grande implication des hommes dans la vie du foyer, les femmes restent statistiquement plus nombreuses que les hommes à cuisiner tous les jours (59% versus 48% d’après une enquête menée par Womenology), mais que, dans le monde de la grande gastronomie, on ne parle que d’hommes (94% des chefs et 98% des chefs étoilés sont des hommes !) ? Les médias sont inondés des « Pop chefs », de la « Génération New French Bistrot » (L’Express) ou encore des « Gods of food » (titre du Time magazine) qui ne mentionnent que des célébrités culinaires masculines.

Historiquement, les femmes étaient celles qui devaient cuisiner par nécessité alors que les hommes avaient le loisir de cuisiner par passion et de revendiquer ainsi l’expertise du métier. La noble cuisine est masculine, car elle correspond à l’expression d’un savoir faire et d’une passion, et non à la satisfaction de besoins primaires. Cette réalité est particulièrement ancrée en France (versus les pays anglo-saxons par exemple). « Le métier de cuisinier en France s’est constitué en dehors des femmes et de leur savoir-faire ancestral. À l’origine, la grande cuisine française est une cuisine de cour commandée par des hommes. Taillevent, considéré par les historiens comme le premier « chef » français, était premier écuyer de cuisine du roi, en l’occurrence Charles VI. La grande cuisine sera jusqu’à la Révolution française la cuisine des grands » (extrait d’un texte publié par la Fondation Gabriel-Péri et signé Martine Bourelly, « Le pouvoir dans la cuisine, Chef, Cheffe de cuisine : paradoxe d’un métier et trouble du genre »).

De nombreuses études de sociologie expliquent que dès lors qu’un métier se féminise, il perd en aura et attractivité. Bourdieu et Le Feuvre qualifient le phénomène de « dévalorisation sociale » des professions dès lors qu’elles deviennent préemptées par les femmes : c’est le cas par exemple en partie de la profession d’instit : l’instituteur avait un statut très prestigieux dans les villages français du début du siècle, statut qui s’est progressivement érodé avec le temps et la forte féminisation du métier, ou encore des professions libérales (juges, médecins). Le monde de la haute cuisine, pour la très grande majorité masculin, dégage en effet une aura forte. les médias surfent d’ailleurs sur cette tendance avec la multiplication d’émissions culinaires à l’audience très élevée (Top chef, Masterchef). L’art de cuisiner en devient donc d’autant plus attractif !

Si lorsqu’un métier se féminine, il perd une partie de son aura aux yeux des gens, alors est-ce que plus un métier devient valorisé et connu, plus il se masculinise? Cette hyper médiatisation et « sexitude » en puissance de la haute cuisine va-t-elle alors la faire évoluer vers encore plus de masculinité? La cuisine, nouvel ultime outil de drague, pourrait-elle devenir entièrement l’apanage des hommes, à la recherche de davantage de reconnaissance sociale et désireux d’imiter les nouveaux top (chefs) modèles ? A quand une notice de cocotte minute exclusivement destinée à la gent masculine ? Cela en ferait rêver plus d’une…

Cependant l’égalitarisme croissant prôné de toutes parts, comme le montrent les combats du ministre du droit des femmes Najat Vallaud-Belkacem qui veut faire évoluer les mentalités avec notamment dernièrement son ABCD de l’égalité dans les écoles, vient soutenir la montée en puissance des cheffes dans le métier, qui ont gagné du terrain ces dernières années à l’image d’Anne-Sophie Pic (seule femme chef 3 étoiles en France). Garderont-elles l’appellation conservatrice de chef, ce qui est le cas aujourd’hui, s’il est garant du prestige de la profession, ou revendiqueront elles une version féminine de leur appellation?