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#Sociobang – L’iSelf ou l’extension de soi

En janvier dernier, Russel Clayton, doctorant à l’université du Missouri, a publié son étude sur « L’impact de la séparation d’avec son mobile sur la cognition, l’émotion et la physiologie », qui mettait en avant le concept de « nomophie », c’est-à-dire la peur d’être privé de son téléphone portable (« no mobile phone phobia »). En utilisant un échantillon de 208 individus, il a réussi à prouver que ceux-ci ressentaient une augmentation du stress significative lorsqu’ils étaient privés de leur smartphone (augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle, capacité de concentration diminuée…)

Ce sentiment de stress prouve que nos smartphones font désormais intégralement partie de notre corps : ils sont « une extension de nous-mêmes ». De fait, privé de lui, notre être est diminué : nous nous sentons dépossédés d’une partie de nous-mêmes, de notre « iSelf », c’est-à-dire de notre identité connectée. Comme si nos portables devenaient des entités vivantes, physiquement incarnées en nous. 65% des Américains ne dorment-ils pas, d’ailleurs, avec ou à côté de leur device ?

Le smartphone est, en particulier, une extension des jeunes car, pour eux, il établit une continuité seamless entre leur psyché et le monde extérieur. L’Observatoire de la vie numérique des adolescents, de la Fédération Française des Télécoms, montre que la plupart des échanges sur Internet des 15-24 ans (textos, Snapchats, statuts Facebook…) se limite à l’expression de boissons primaires : « J’ai mangé une pomme », « Je suis fatigué »… Aux Etats-Unis, le site « Real time #bored in school map » recense même en direct des commentaires de lycéens et d’étudiants qui s’ennuient en cours. De fait, le smartphone devient « une main psychique », pour reprendre les termes du psychanalyste André Green, qui permet d’établir une continuité corporelle entre la tension intérieure et sa manifestation. L’usage du smartphone se fait impulsif, servant à déverser sans censure la litanie de « tout ce qui se passe dans la tête » du jeune : les textos sont griffonnés, les moindres moments de la vie quotidienne systématiquement mitraillés et les statuts Facebook générés à l’envi.

En exprimant ainsi un vécu plat et insignifiant, les jeunes tentent – en vain – d’exorciser leur ennui, comme si une solution allait s’offrir instantanément à eux – la réponse, salvatrice, d’un ami, un follower miraculeux, un commentaire thaumaturge. Ce faisant, le smartphone leur permet d’avoir une prise directe sur le temps qui passe : il est une autre main psychique qui leur donne l’illusion du contrôle. D’après l’Observatoire de la vie numérique, cet usage impulsif des smartphones s’apparente à des réactions motrices, corporelles – plutôt qu’à de vrais gestes de communication ou de jeu – qui permettent de déverser les remous intérieurs propres à l’adolescence et, plus généralement, à une génération. « Dans cette période où le malaise s’exprime plus volontiers par des manifestations comportementales qui mobilisent le corps que par des longs discours d’introspection, les outils numériques jouent à plein leur rôle d’engins à réaction », devenant de véritables extensions physique et mentale de l’individu.

‽ Si les smartphones sont devenus des extensions des jeunes, leur usage des nouvelles technologies est marqué par l’ennui et la routine. Pour communiquer efficacement avec eux, il ne suffit donc pas d’utiliser le « digital » mais de les étonner en permanence et dans la « vraie » vie.