Conseil en innovation stratégique

Tilt Attitude #16 : La sécession

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LE DANGEREUX LUXE DE LA SÉCESSION ÉNERGÉTIQUE

Les velléités croissantes d’autarcie rencontrent de nouveaux possibles technologiques, qui mettent en risque la qualité et la pérennité du service public. L’énergie est le premier secteur concerné : les franges les plus pauvres de la population des pays développés auront-elles demain encore accès à l’électricité, du moins à une électricité propre et bon marché ?

L’arrivée des dispositifs de stockage d’énergie domestiques – à l’image du Powerwall de Tesla – couplée à l’accessibilité croissante d’équipements de production d’énergie renouvelable (panneaux solaires, éoliennes, pompes à chaleur, …) permet à toujours plus de personnes d’assurer leur autonomie énergétique, a fortiori là où les conditions climatiques et d’ensoleillement sont les plus favorables.

Si la grande majorité d’entre elles restent connectées au réseau public d’électricité – auquel elles revendent leurs excédents et dans lequel elles trouvent une sécurité – une minorité de plus en plus significative choisit de s’en déconnecter, ce qui menace la pérennité du service public qui réside dans la mutualisation des coûts fixes. Une étude du mois passé révèle que 95% des dirigeants des services publics considèrent que leur nombre va augmenter de manière importante dans les deux prochaines années.

A y regarder de plus près, les raisons de ces « off-gridders » ne sont nullement écologiques (à moins de se tromper lourdement, car cela serait un non-sens absolu…) ni mêmes financières (en excluant de l’équation les situations ultra-minoritaires où le coût d’un raccordement au réseau serait trop élevé). De fait, se déconnecter totalement du réseau public demande un investissement personnel et surtout financier conséquent, supérieur à 170K$, plus de deux fois supérieur à l’installation d’un système de panneaux solaires et de stockage par batteries raccordé au réseau. Pour espérer un ROI à 10 ans, il faudrait ainsi pouvoir économiser plus de 20K$ chaque année, une gageure, même à l’échelle de petites communautés, et la baisse des coûts de l’énergie solaire et des batteries ne devrait pas permettre d’atteindre la parité réseau, donc de rendre l’investissement rentable, avant plusieurs années. Le mode de vie « off-grid » témoigne en cela des vives ardeurs autarciques de nos sociétés, d’obédiences fragmentées – survivalisme, libertarianisme, crypto-anarchisme, … – qui sont d’autant plus aigües outre-Atlantique.

Cependant, si le mouvement suit son cours, les derniers pourraient bien devenir les premiers : dans un scénario noir, les « off-gridders », plus aisés et capables d’investir dans ces technologies, finiraient par payer moins que ceux qui demeureraient connectés au réseau public et devraient en supporter les coûts échoués de plus en plus importants, conduisant à un effondrement du service public et à un décuplement des inégalités. Pour éviter l’émergence de ce système à deux vitesses, les pouvoirs publics prennent leurs dispositions, à l’image de la Floride qui, depuis septembre 2017, a mis en place une interdiction visant spécifiquement ce type de dispositif, et interdisant de se déconnecter du réseau.

‽ Le mode de vie « off-grid » est un marqueur fort de la tendance de nos sociétés à la « sécession », qui en ce cas procède d’un individualisme poussé à l’extrême dans l’idée d’autarcie : autonomie énergétique certes, mais également scolarisation à domicile ou encore permaculture… Cette tendance, a (malheureusement ?) de belles années devant elle, accompagnée par le développement technologique, et est donc à considérer comme une opportunité de marché (n’y voyez aucun cynisme). Enfin, ne soyons pas fatalistes : conjugué avec notre besoin d’ancrage et de filiation, le mode de vie « off-grid » tend vers une harmonie dans un « individualisme relié ». Auquel cas, l’idéal d’autonomie individuelle, tel que largement promu dans le storytelling de Tesla, serait la condition d’une société plus harmonieuse. A méditer…

Adrien Senez, Manager