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#Sociobang – Beauté normée, beauté normale

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Dans l’un des derniers numéros d’Interrobang, nous nous interrogions sur l’éclatement actuel des normes : de l’école au travail, en passant par la morale, il semble aujourd’hui devenu impossible d’exercer une quelconque forme de coercition sur l’individu.

La beauté, elle, est le royaume de la norme, au moins depuis Polyclète qui, au Ve siècle, a établi les proportions idéales du corps humain dans son Canon. A la faveur d’un mouvement historique amorcé dans les années 60 et du contexte de crise où « réussir son corps » est devenu le dérivatif à l’impossible réussite économique et professionnelle (Monia Chollet), il apparaît que cette définition est plus vraie que jamais. Il n’est de corps que parfait : toute imperfection doit être bannie de l’espace public, comme si elle était une tête de Gorgone qui menaçait, à chaque instant, de nous rappeler que, précisément, nous sommes bien peu à être des canons de beauté. D’ailleurs, certains lieux du corps cristallisent en particulier ces obsessions : les cheveux chez la femme, la barbe chez l’homme, la peau chez les deux sexes qui, l’un comme l’autre, feraient tout pour lutter contre les imperfections, le sébum et les rougeurs. Cette monomanie atteint aujourd’hui un paroxysme avec la chirurgie esthétique, les concours de mini-miss ou des shows TV tels que Relooking Extrême où l’on voit des personnes atteintes d’obésité morbide suivre un régime draconien avant d’être opérées pour retirer l’excédent de peau… Même le fantasme semble se plier à ces canons de beauté photoshoppés. Ainsi, la société française Doll Story est spécialisée dans la fabrication de « love dolls » en silicone, aux traits à la fois ultra réalistes et totalement désincarnés.

Pourtant, il apparaît que que ce diktat se renverse aujourd’hui, du moins qu’il cohabite avec la normalité érigée comme nouveau canon. Les magazines de mode, comme Vogue Homme International, font de plus en plus poser des adolescents boutonneux. De même, dans son dernier film, Métamorphoses, Christophe Honoré choisit des jeunes gens dégingandés avec de l’acné pour incarner… les dieux eux-mêmes, c’est-à-dire ceux qui, dans la tradition occidentale, ont par essence le corps parfait. Plusieurs stars s’affichent également sans maquillage, comme Cameron Diaz ou Heidi Klum, pour montrer à leurs fans qu’elles sont « comme eux », autrement dit « normales ». Selon la psychologue Danielle Rapoport, « l’acceptation et la valorisation de la différence sont un signal faible qui montre la fatigue d’un surcroît de normes, la volonté de vivre différemment et de s’affirmer soi-même avec ses défauts » : dans un monde qui nous enjoint en permanence à la perfection, cette contre-tendance se dessine qui revalorise l’individu tel qu’il est.

D’ailleurs, plus généralement, la normalité est devenue une qualité valorisée. Ainsi, de François Hollande à Kate Middleton, en passant par le pape François, les personnalités publiques – présidents, princes, pape – se sont “normalisées”. Après le règne des classes élitistes puis l’ère de la prescription des classes populaires (avec les modes issues des banlieues par exemple), il apparaît aujourd’hui que, à la faveur de l’éclatement des normes et des hiérarchies, ce sont le “normal”, la “moyenne”, qui soient valorisés.

Les marques s’appuient de plus en plus sur ce phénomène pour trouver écho auprès des consommateurs. Après Dove, bien connu pour ses campagnes de sensibilisation, ou Mc Donald’s et son fameux « Venez comme vous êtes », Meetic communique depuis l’année dernière sur le potentiel de séduction des défauts en affirmant : « Vous n’êtes pas un athlète… Vous n’êtes pas top model… Vous êtes l’égérie d’aucune marque de sous-vêtements… Non, vous n’êtes pas tout ça. Mais il y a une chose que vous êtes : vous êtes vous » ou « Si vous n’aimez pas vos imperfections, quelqu’un les aimera pour vous ». Le potentiel marketing du normal s’affiche même dans des secteurs autres que la beauté ou les rencontres : le succès des campagnes sur les « Fruits et Légumes moches » d’Intermarché, Leclerc ou encore Cora, l’année dernière, ne prouve-t-il pas l’intérêt que les consommateurs nourrissent à l’égard de l’inesthétique, de cette petite fenêtre qui, l’espace d’un instant, ouvre sur un quotidien moins normé et hors des calibres ?

 La beauté décanonisée, si elle cohabite toujours avec des normes strictes, s’impose de plus en plus comme un moyen de nouer un contact chaleureux avec ses clients. A mesure que toute chose est de plus en plus esthétisée, les marques peuvent saisir l’opportunité de communiquer sur leur « normalité » afin de se rapprocher de ces derniers et de créer de l’empathie avec eux.