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#Sociobang – Coupables d’être en couple

« Je n’ai rien à te dire sinon que je t’aime ». Tel est le titre de l’exposition qui se tient actuellement au Musée des Lettres et Manuscrits, à Paris. Empruntée à Léon Bloy, un écrivain du XIXème siècle, cette citation apparaît bien anachronique aujourd’hui quand on sait que le nombre de célibataires a augmenté de 30% au cours des dix dernières années, quels que soient les pays, l’origine sociale, l’âge, le sexe et l’orientation sexuelle, et que 40% des ménages français seront composés d’une seule personne en 2030, selon l’INSEE. Faut-il en conclure que nous avons perdu toute aptitude à aimer, que le sentiment amoureux tel que l’a vécu Léon Bloy s’est définitivement érodé ?

Jusque dans les années 60, si l’amour est, d’une part, une incarnation évidemment sociale (le mariage), il est aussi, d’autre part, une construction exaltée (l’amour courtois, du couple parental, romantique). De fait, l’amour traditionnel est sacré, c’est-à-dire qu’il rompt avec les contingences de la vie quotidienne (il est pur, inconditionnel, éternel, etc.) Or, dans notre société d’abondance où, par définition, nous n’avons plus besoin des autres, la pensée moderne a réduit l’amour à son acception pratique : il n’est plus considéré que comme le fruit de facteurs économiques, sociaux et religieux qui obligent, par besoin, au couple. De fait, ce dernier est devenu un « archaïsme » (selon le philosophe Vincent Cespedes) et, par glissement, l’amour un sentiment déprécié.

A l’inverse, la solitude ou, plutôt, la capacité à vivre et évoluer seul, sont des qualités hautement valorisées. Tout d’abord, par persistance d’un discours féministe vantant la célibattante comme le modèle suprême de la femme « consciente de la supercherie » (d’après l’universitaire Serge Chaumier), de la wonderwoman qui réussit seule. Plus généralement, le monde du travail martèle ses valeurs d’indépendance, d’autonomie et de flexibilité dans l’ensemble de la société, ce qui favorise l’incapacité à s’engager, aussi bien dans le couple que dans une offre de téléphonie mobile, et contribue à diaboliser l’autre amoureux comme un obstacle à la réussite, dont il faut se protéger par principe de précaution. Enfin, catalysant ce phénomène, la mode du développement personnel a érigé une philosophie où l’on est seul responsable de son bonheur : la source de sa réussite est en soi seul, de sorte que l’autre amoureux est un « paravent » qui « nous divertit de nous-mêmes » (V. Cespedes). De là, découle un renversement de paradigme total : la culpabilité de ne pas (réussir à) être seul. A l’obligation historique d’être en couple (marié), succède l’obligation sociale montante d’être célibataire. Avant, on se sentait coupable de ne pas être « casé » (cf. Roland Barthes), aujourd’hui on est coupable d’être en couple.

De fait, normalisé puis diabolisé, « l’amour est un problème » (d’après la sociologue Eva Illouz) et l’autre amoureux un danger : à une époque pauvre émotionnellement, nous sommes incapables d’aimer un autre que nous-mêmes. Si cette tendance se confirme, nous aurons probablement perdu la dernière part de sacré qui restait dans nos sociétés et, avec elle, la capacité à nous laisser transcender par un sentiment qui nous dépasse. Et l’on aurait envie de répondre à Léon Bloy en citant Michel Houellebecq : « Lorsque la vie amoureuse est terminée, c’est la vie dans son ensemble qui acquiert quelque chose d’un peu conventionnel et forcé. On maintient une forme humaine, des comportements habituels, une espèce de structure ; mais le cœur, comme on dit, n’y est plus ».

‽  L’amour est-il si éloigné des problématiques des marques ? Alors que le monde se rationalise à l’envi, allez à contre-courant promettez à vos clients ce qui leur échappe de plus en plus : la passion, l’audace, ce qui dépasse la banalités abêtissante du quotidien. Des entreprises comme Smart, Levis, TF1 ou Coca-Cola l’ont bien compris en vantant des valeurs telles que l’optimisme, l’envie ou la liberté.